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CUMBE
21 juillet 2012

On dirait le Sud...

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Il souffle sur l'Europe du Sud un vent créatif revigorant. Partagés entre l'héritage multiséculaire des chants polyphoniques, des fanfares et de la poésie, des musiciens en provenance de France, d'Italie ou de Grèce réinventent ces traditions. Une production dense représentée aujourd'hui par les provençaux de Lo Còr de la Plana, avec l'orchestre La Banda Adriatica ou bien encore par le collectif Melos. L'espace méditerranéen est ici un creuset d'échanges et d'expériences.

L'empreinte culturelle et artistique de l'Occitanie dépasse de loin la délimitation administrative de l'actuelle région Midi-Pyrénée. Ainsi au Moyen Age cet espace rayonnait sur tout la partie méridionale de l'hexagone et une bonne portion de la péninsule ibérique. Période propice au développement des régionalismes, l'après 68 sert de laboratoire pour nombre de formations. Parmi ces figures citons le gascon Bernard Lubat, jazzman émérite et père du fameux festival alterno dada d'Uzeste. Ou bien encore André Minvielle, spécialiste dudit terroir et chanteur entendu récemment au sein du beau projet multiculturel Oneira. Troisième mousquetaire, Claude Sicre lance, il y a plus de vingt ans, avec Ange B, les Fabulous Trobadors. Férus de discussions socratiques, ces derniers testent les repas de quartier, notamment à Toulouse d'où le duo est originaire. La production musicale est inédite. Elle mixe joutes verbales des troubadours et rap, langue d'Oc et français. Les  déclamations portent sur l'autonomie culturelle au travers des réflexions du penseur Félix Castan, des liens tissés avec le Nordeste brésilien. Era pas de Faire, leur première production est signée chez Bondage, alors label des Berruriers Noirs. Différents groupes comme Bouducon production, le pendant hip hop des Fabulous, les Femmouzes T ou bien encore les reaggaemen provençaux du  Massilia Sound System, déclinent volontiers. Sans rencontrer le succès populaire, la formule a le mérite de décomplexer la scène musicale locale.  

La plupart issus de formations marseillaises comme Nux Vomica ou Raspigaeous, les six chanteurs de Lò Cor de la Plana incarnent cette réalité plain pied. Leur nom, le choeur de la Plaine, renvoie à un quartier phocéen d'où la plupart des musiciens sont originaires. Marchés, bistrots, églises ou usines du cru ont déjà accueilli leurs prestations. Marqué autant par la musique classique, le rock que les cultures du monde, Lò cor de la Plana bouscule avec insolence la tradition polyphonique méridionale. A l'image de la formation corse A Filetta, ce groupe fait fi d'un quelconque régionalisme frileux, revendique ses racines pour mieux les confronter à la société environnante. Paru il y a quelques semaines chez Buda, Marcha !, leur troisième album cultive une attitude détonante. Accompagné de percussions provençales tel le bendir (tambourin à cadre), l'ensemble bombarde ses vocalises avec énergie sur La Canalha (la canaille). Un rythme qui prend toute sa dimension avec Aimi pas lei Capelans qu'on traduira par j'aime pas les curés, où les voix se confondent à la Human beat box de Ange B. Libertaires, jouisseurs, volontaristes, les slogans comme "La rupture n'est jamais tranquille" ou "Le Lion est un mouton assimilé" strient le livret. Une bonne claque, tant sur le tambourin qu'aux oreilles.

L'Italie voisine ne générère pas que des scies musicales. Loin du stéréotype de crooner pour slow estival, Vinicio Capossela cultive un univers habité, autant marqué par la Beat Génération que les auteurs classiques européens. Après vingt années d'une carrière qui l'a vu croiser le chemin de Calexico, Joan Baez ou Jimmy Scott, le musicien milanais sort ce qui apparait comme son album peut être le plus abouti : Marinai, Profeti e Balene. Sur la pochette, l'homme pose le bicorne soigneusement vissé sur le crâne, l'oeil torve sur fond d'océan. Ici l'univers maritime est tour à tour gage de réflexion sur l'âme, avec une référence directe à Herman Melville, et passeport pour l'aventure. Dédicacée au grand Joseph Conrad, cette production gomme les étiquettes qui contingentent Vinicio Capossela nouveau Tom Waits. Les arrangements sont fins, à l'image du premier single extrait de l'album : Priyntyl.

SI l'Italie du Nord reflète un caractère urbain évident, le sud de la botte et la région des Pouilles prônent une alternative rurale incarnée par le collectif La Canzoniere Grecanico Salentino. Garants de la tarentelle, cette danse que la légende incombe à la morsure d'une...tarentule,  les sept membres revitalisent un folklore venu de la nuit des temps. Le discours déliébrement païen fait mouche au sein du berceau catholique. Les voix sont obsédantes comme possédées. Et l'usage du tamburello génère une transe redoutable. Sorti l'an dernier, leur album Focu d'Amore met en évidence les syncopes rythmiques, renforcées par de superbes arrangements de cordes comme en atteste le titre Canzune alla Ruvescia. La formation sera à l'affiche du festival Au fil des Voix, jeudi 9 août, à Vaison-la-Romaine, dans le Sud de la France.

Enfin les brass bands américains et les tarafs roumains trouvent ici un prolongement inédit avec les Bandas italiennes. Editée sur le label allemand Network, une compilation intitulée sobrement Bande Italiane reflète la vitalité des fanfares locales. Cinq groupes dévoilent ces ensembles populaires, aux influences multiples. Si La Banda Olifante assume un héritage funky, La Municipale Balcanica trace un axe évident avec l'Europe Orientale et Opa Cupa modernise ledit répertoire. Fleuron du genre, la Banda Adriatica provient, comme pour les deux formations précitées, du sud de l'Italie. Les connexions avec les rythmes albanais ou grecs sont ici évidentes. La photo qui illustre ce dossier, reflète la mer méditerrannée, omnisciente quand on aborde les mélodies d'Europe du Sud. Les sentiments sont parfois exprimés de manière théatrale, l'identité est elle délibérément cosmopolite.

Nouveau label de la Canzoniere Grecanico Salentino, Accords croisés est devenu la référence en matière de musiques du monde. La plupart des continents sont représentés sous forme de livres-disques. Les différentes signatures en provenance de Grèce symbolisent, elles, une poésie et des mélodies vivaces. En provenance de Crète, une ile phare à la croisée des cultures grecs, romaines et arabes, Giorgis Xylouris  adapte un répertoire pastoral qui met à l'honneur les instruments à cordes comme la lyre, le luth et ses dérivés tel le bulgari. Epaulé par Stelio Petrakis et Periklis Papapetropoulos celui-ci a sorti, en 2010, l'album Si je salue les montagnes. Si l'approche artistique traite des racines culturelles, le traitement n'en reste pas moins actuel. Les échanges restent la marque de fabrique d'Accords Croisés. Ici c'est Keyvan Chemirani, le musicien français d'origine iranienne, qui offre sa science des percussions à l'ensemble. Rappelons que ce dernier est le maitre d'oeuvre de plusieurs albums maison. Le dernier en date s'intitule Melos...

Enchêvetrement de mélodies grecques, tunisiennes et espagnoles, le projet Melos regroupe une dizaine de grands noms de la musique méditerranéenne parmi lesquels Dorsaf Hamdani, récente interprète de Fairouz et de Oum Kalsoum, le guitariste Juan Carmona ou l'ensemble du centre culturel En Chordais. Remarqué sur scène, à Paris, l'hiver dernier, ce super-groupe fait vibrer les contacts entre l'Orient et l'Occident. L'enregistrement est jubilatoire voire historique. Pétris d'émotions sincères, les duos s'établissent dialogues. Les figures sont à géométrie variable, établissent de nouvelles frontières tout en respectant les canaux originels. C'est le cas de Nanas, un titre marqué par les musiques arabo andalouses, d'Une histoire de l'exil, plage au fond  mélancolique prenant. En grec contemporain Mélos signifie avec ambivalence le mélange mais aussi la séparation. Un intitulé qui résume la richesse abordée.

 

 

 Vincent Caffiaux

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