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CUMBE
19 septembre 2012

Le king créole

 

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Figure du rock et leader des Clash, Joe Strummer s'est découvert , entre 1998 et 2001, une vocation d'animateur pour la BBC. A l'écoute des seize programmes naturellement baptisés London Calling, on suit un carnet de voyage passionant où se télescopent Trini Lopez et Yellowman, Baaba Maal et Johnny Cash. Au travers de cette playlist transparaissent les idéaux d'un enfant de l'après guerre réfractaire aux injustices, visionnaire quant à l'actuelle mondialisation.

Ecouter Joe Strummer à la radio nous renvoie à nos transistors trentenaires, l'oreillette scotchée au conduit à guetter les syncopes électrocutées de Radio Clash, le signal Morse de London Calling. Matrice du groupe, la voix fébrile de Joe Strummer résonnait alors comme celle d'un grand frère, avec ses précepts et sa discothèque aux trésors. Le retrouver derrière les micros de la Beeb, à la fin des 90's, boucle un parcours cohérent. " On va raconter l'inracontable, passer l'impassable, diffuser ce qui doit être diffusé. Cette terre est votre terre, ce monde est votre monde " déclare alors le speaker électrique. Le clin d'oeil à Woody Guthrie est évident. Il évoque l'enfance de Joe Strummer, né John Mellor, fils d'un fonctionnaire du Foreign Office, élevé à l'international. La Turquie où il vient au monde puis l'Egypte, le Mexique et le Malawi composent un décorum inédit qu'il mixe alors avec le sinistre pensionnat britannique où il découvre le rock. Elvis Presley et la rumba kenyane façonnent son imaginaire à la cadence des câbles diplomatiques émis par son père. La destinée est singulière. Elle  s'imprime dans la foulée des créateurs aux semelles de vent avec On the road, la gipsy serenade de Kerouac. Un rouleau de la contre culture que le working class hero déroulera finalement tout le long de sa carrière. Jusqu'au dérivant Burroughs, invité mystère d'un Ghetto Defendant d'anthologie. Après une errance dans le Londres post soixante huitard et une première phase créative accordée pub rock avec les 101'ers, Joe Strummer  envoie tout bouler. Nous sommes en 1976. La société est en crise. Elle se taille désormais au sécateur punk et à la machette reggae, sa lame croisée.

 

 

Les incisives en galoche, Joe Strummer rejoint alors Mick Jones et Paul Simenon, avec qui il fonde Clash. Moins branleurs que la boulette Situ incarnée par les Sex Pistols, les membres répètent intensément. Le premier album parait en 1977 : c'est une gifle. Le chanteur se fait tour à tour avocat et procureur, convoque à la barre l'impérialisme américain et le Vieux Monde, balance un plaidoyer en faveur de  l'ex-égérie 60's Janie Jones bref chamboule les AG gauchistes enfumées au profit de vignettes agit prop percutantes. Coincée en fin d'enregistrement, la reprise d'un titre reggae renvoie aux récentes émeutes de Notting Hill. Police and Thieves, une fable rudy chantée sur le mode falsetto par Junior Murvin, est ici atomisée. Les singles pleuvent comme les pavés. Don Letts, l'ami vidéaste, est immortalisé face à un cordon de flics. Il illustrera le 25 cm Black MarketLee Perry produit l'impeccable Complete Control. Et Marley célèbre la Punky Reggae Party à laquelle sont conviées de fortes têtes de la trempe des Slits et autres Ruts. 

Gamin de Brixton, le faubourg antillais de Londres, Paul Simenon reste, avant le guitariste Mick Jones, l'autre l'artisan de ce métissage. Les lignes esthétiques sont clairement tracées. Par la peinture, sa vocation première, et grâce au reggae à qui il voue une passion évidente. Joe Strummer, lui, a la révélation. Si la bonne parole rasta imprègne les lieux, c'est surtout la rebellion  qui l' interpelle. Il fait sien cet activisme. L'état d'esprit s'affirme au sein de deux titres fondamentaux des Clash : Guns of Brixton chanté par Simenon, avec références directes à The Harder they Come. Et (White Man) in Hammersmith Palais, un des textes parmi les plus poignants de Joe Strummer. Ecrit  après un concert  où il est étonné d'être le seul blanc dans l'assistance, le texte rend hommage à la culture anglo jamaicaine. William Shakespeare passe le perfecto. L'anglais sonne au diapason : " De minuit à six heures du mat / une première en provenance de Jamaïque / Dillinger et Leroy Smart / Delroy Wilson votre cool operator..." Les hits offrent un métissage nouveau. Roi du genre, Ken Boothe et son UK pop reggae bombardent les ondes. Pourtant le scepticisme guette. Désillusionné par son expérience dans la célèbre salle londonienne, Joe Strummer dénonce le manque d'engagement des rockers et balance un couplet final à l'adresse des urnes, vérolées par l'extrême droite. Le message radio n'est pas codé : ... " Partout les gens changent leurs votes / Comme de pardessusSi Adolf Hitler atterrissait aujourd'hui / Ils lui enverraient une limousine..."  London Calling est sur le feu. Le bulletin de liaison Sandinista s'ébauche, romantique et tropical.

Le triple album en question remixe le riddim reggae à la cadence new-yorkaise. Le rap naisant bluffe les rockers qui signent The Magnificent Seven, une titraille à la dégaine d'outlaw mal rasé. Précurseur du village mondial  mais controversé pour sa durée, le pavé vinyl est adulé en France mais descendu en flèche au Royaume Uni. En 1982, la consécration symbolisée par Combat Rock sonne également l'heure des règlements de comptes. Avec le public américain à qui Joe Strummer prédit fatigué l'heure du grand mélange. Et avec Mick Jones qui part fonder Big Audio Dynamite.  Avec la fin des Clash c'est, pour Joe, le début d'une traversée du désert qui durera une dizaine d'années. Le lonesome cowboy réapparait finalement avec les Mescaleros. La figure rock est intacte. Elle est devenu une référence. En 1998, Joe Strummer est invité sur l'antenne de BBC World Service pour une série de programmes d'une demi-heure durant lesquels l'homme a carte blanche. Des dizaines de disques sous le bras, il anime alors London Calling, clin d'oeil au double éponyme des Clash. Le boogaloo est explosif. Cumbia, musiques africaines, reggae mais également rock et chanson française rythment les ondes. Quarante millions d'auditeurs écoutent la sélection.

Fourre tout génial, London Calling joue la carte du décalage horaire et de la nostalgie mais pas seulement. C'est également un témoignage fort sur notre présent mondialisé, celui des migrations planétaires et du métissage, des polyphonies bulgaro-congolaises et des DJ péruviens La terre est bleue comme une orange et Joe trace des liaisons inédites. Naturellement la Caraïbe des dubmasters et chantres latinos figure en bonne place. Collaborateur de longue date, Mickey Dread introduit l'émission. Ibrahim Ferrer, crooner en chef au sein d'un Buena Vista Social Club récemment dépoussiéré, fait vibrer son timbre élégant. Les rythmes africains sont aussi de la partie ; en provenance du Mali avec Amadou et Mariam ; du Sénégal avec l'Orchestra Baobab ; mais aussi d'Afrique Australe, souvenir marquant du jeune Strummer sur le contient premier. Mieux, le MC fait fi des étiquettes, une spécialité hexagonale, pour télescoper les musiques du monde aux rythmes rock. La sélection est autobiographique. LIttle Richard et Cochran dansent au son du Blietzkrieg Pop de Joey Ramone. Joe n'oublie pas l'Europe au sang mêlé avec les anglo indiens de Cornershop et Rachid Taha, la vieille connaissance qui revisite malicieusement Rock the Casbah. Il invite Brian Jones, ici en congé de Carnaby Street, pour une jam marocaine avec les Masters musicians de Jajouka. Si les mélodies d'un Dean Martin ou d'un Harry Belafonte acidulent le cocktail, la cherry dans le verre provient de France avec Françoise Hardy, la référence existentielle adulée par tous les rockers de sa génération. Seize programmes courts ponctuent l'agenda maison jusqu'en 2001. Base de l'excellent documentaire The Future is Unwritten, réalisé par Julian Temple, cette saga radiophonique se termine par Keys to your heart des 101'ers. Ironie du sort, Joe Strummer décède d'une malformation cardiaque,  le 22 décembre 2002. L'information est cruelle tant le personnage respire la générosité. A l'instar de cette confidence définitive enregistrée pour le film posthume  : " Without people you're nothing ". Sans les gens vous n'êtes rien.

Vincent Caffiaux

The Future is Unwritten, Julian Temple (EMI) - The Clash : Story of the Clash Vol 1, London Calling, Sandinista (Universal).

 

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