Bien sûr il y a eu le phénomène Buena Vista Social Club et la réhabilitation du son cubain par ses augustes interprètes. Pourtant la sortie, mardi 11 janvier du film El Gusto, précédé cette semaine par l'album éponyme, revêt une autre dimension. Serait-ce parce que cette production fait partie intégrante de notre histoire ? Toujours est il que les retrouvailles de ces quinze musiciens de chaâbi, juifs et musulmans confondus, confèrent ici au symbole.

Je vous parle d'un temps que les moins de soixante dix ans ne peuvent pas connaitre. C'était l'Algérie du milieu du XXe siècle. Une contrée d'Afrique du Nord avec ses différents peuples et sa composition coloniale. C'était avant les années de plomb, l'émancipation mais aussi la guerre et ses déchirures... Musulmans et Juifs pied noirs vivaient alors ensemble dans les quartiers populaires d'Alger, réunis par la même culture. Musique populaire, le chaâbi reflète cette connection bigarée. Répertoire pétri de rythmes berbère, andalou, et religieux , il reflète un lien évident d'unité. C'est cette histoire émouvante que raconte le projet El Gusto. Deux albums, un documentaire puis un livre consacrés à la réunion d'honorables septuagénaires souvent perdus de vue depuis des décennies...

El Gusto Bande-annonce

L'aventure débute il y a neuf ans lorsque Safinez Bousbia, jeune irlando-algérienne rencontre, au détour d'une échoppe de la casbah d'Alger Mohamed el-Ferkioui, un miroitier qui raconte alors son histoire. Celle d'un jeune musicien formé par El Anka, fondateur du conservatoire d'Alger et iniateur du chaâbi. C'est un mentor que cite Mohamed el Farkioui. Une figure qui, durant des décennies, va imprégner sa marque auprès des jeunes musiciens, leur apprendre la tolérance et distiller El Gusto, la joie de vivre, de jouer ensemble. Au delà ce cette rencontre, la réalisatrice réunie quelques compagnons de route de Mohamed el Farkioui afin de réaliser un documentaire. Déambulations, souvenirs, observations, les quelques plans entraperçus rappellent le bien fondé de ce courant musical mais également la poésie qui s'en exhale. Instrument typique de l'algérois, la mandole résonne le long des ruelles comme un baume au temps qui passe. Mieux, passées les retrouvailles, Safinez Bousbia prolonge l'expérience en provoquant une série de concerts à partir de 2007 à l'opéra d'Alger, au palais omnisport de Paris-Bercy ou bien encore au Barbican Center de Londres. Elle reçoit le soutien de Damon Albarn et produit un premier album du collectif. En définitif, deux années auront été nécessaires pour réunir les quarante élèves de la première classe de chaâbi du conservatoire d'Alger. Une quinzaine d'entre eux apparaissent dans le film de Safinez Bousbia. Tous ont un pseudonyme. Le luthiste Rachid Berkani, reconnu pour ses talents derrière Farid el Atrach devient le beau gosse. Et Robert Castel, acteur du cinéma français et propre fils d'un grand musicien chaâbi, se trouve affublé du surnom de comédien... Tous sont à l'affiche d'El Gusto. Le documentaire sortira mercredi 11 janvier 2012.

EL GUSTO : LES PREMIERES MINUTES

El Gusto et les frères d’art du châabi

Réalisée par Sodi, producteur de Femi Kuti ou des Têtes Raides, la bande originale du film est un concentré du genre. A commencer par l'impérial Chihlet l'Ayani et ses arrangements de cordes photogéniques. Kidjet Daltek, interprété avec force par le joueur de mandole Ahmed Bernaoui devoile les mille et une subtilités et finalement la grande modernité du chaâbi. Alors que Je suis un pied noir et son medley nostalgique est orchestré par Maurice el Medioni, le méditerrannéen, père du pianoriental et contemporain du célèbre Lili Boniche. Ya Raya, titre signé Dahman el Harrachi et immortalisé il y a quelques, années par Rachid Taha fait claquer ses derboukas avec force. Et le duo final, interprété par un rabbin et un muezzin, évoque cette union sacrée, difficile et pourtant si naturelle : voir les descendants d'Ibrahim et d'Abraham vivre ensemble. Outre ce remarquble recueil de 11 titres, un livre sera édité au printemps aux éditions Steinkis. Enfin la sélection ne serait pas complète sans l'évocation du CD Abdel Hadi Halo and the El Gusto Orchestra of Algier. La production en question est le premier enregistrement de la formation chaâbi. Parus chez Honest Jon's, les sept titres sont emmenés par El Adi Halo, le propre fil de El Anka.

L'orchestre El Gusto - El Harrez

Quidam production El Gusto / Remark

Vincent Caffiaux

L'union sacrée

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