Le troisième tome de la collection Expedisound est consacré à la Chine. Ce volet nous emmène au sein de la province autonome du Yunnan, au contact du peuple naxi. Composé d'un CD electro, d'un album de musiques traditionnelles et d'un documentaire online, ce nouvel opus évolue sensiblement. Si le dialogue interculturel est toujours aussi riche, le témoignage se veut posé, au plus près des hommes. Mrik et Cyberskum, respectivement chargé de production à Full Rhizome et DJ/créateur en résidence au Yunnan durant six mois, évoquent ici le concept expedisound, la minorité concernée et différentes anecdotes qui font cette aventure.

Peut on rappeller le principe de la collection Expedisound ?

Mrik : " Le projet est apparu au début des années 2000 au sein de la mouvance des travellers. Après plusieurs expériences sur les routes d'Europe nous avons décidé de réunir trois sound systems au travers du label IOT et d'embarquer pour l'Afrique. Le but était alors d'élargir notre horizon, de prolonger le nomadisme au contact de populations de Mauritanie, du Mali ou du Sénégal. Un premier CD composé à partir d'enregistrements africains est sorti juste après. "

Ce principe de banque de données musicales est essentiel pour le dispositif...

M. : " En fait nous avons structuré la démarche sur deux plans : d'abord en situation puis lors d'un travail de production, au retour d'expéditions. Le glanage de sons sur place est donc clé. Il nous permet, par la suite, d'alimenter la travail en studio, de bénéficier de sons propres et de les confier à différents DJ. La variété des répertoires électroniques programmés permet ainsi d'adapter de nombreux climats ou rythmes. "

Organisée en 2006, la deuxième expédition vous amène en Mongolie. Traduit-elle une évolution ?

M. : " Dans le volume matériel requis oui. Nous avons prolongé la formule de la caravane motorisée mais avec des moyens étoffés et un temps de séjour nettement plus long puisque nous somme restés six mois. La finalité était toujours artistique et humanitaire. Nous avons ainsi traversé les steppes russes avant de converger pour le camp d'été de l'orphelinat d'état d'Oulan Baator. Et des DJ (comme Atomik Dog et Crystal Distortion NDLR) ont remixé les sons samplés. Bien sûr un film a été réalisé sur place. Il est réalisé par Laurent Lemonnier et complète ce témoignage. "

Votre dernier volume confirme la volonté d'approfondir le contact avec les populations concernées...

M. : " La démarche se veut plus intimiste. Nous avons mis de côté le trip en camions pour privilégier les sacs à dos (rires). Cyberskum est parti sur place durant neuf mois. Ce qui lui a laissé le temps de s'imprégner. Pourtant le contact qu'il a pu cultiver avec la population ne rend pas la démarche ethnographique pour autant. Chacun son métier. Certes nous sommes dans des champs d'action communs mais notre initiative reste avant tout artistique. "

Cyberskum : " Nous avons lancé cette idée en 2006 en parallèle de l'expédition mongole. Près de deux mois auront été nécessaires pour rejoindre la Chine. Nous sommes arrivés à Pékin en comité réduit afin de jouer sur place. C'est là que nous avons été joints pour une résidence au Lijang studio, un lieu de création situé pour l'occasion au Yunnan. Il nous a fallu un mois pour rejoindre cette région située sur les contreforts du Tibet. Un voyage qui n'a pas été de tout repos. Jusqu'au vol du matériel informatique. On a donc fait une pause à Hong kong pour racheter l' ordinateur et le matos d'enregistrement. "

Comment se passe l'accueil avec la peuplade Naxi ?

C. : " Excellent, il a tout de même fallu s'acclimater, bien que le voyage nous avait déjà bien déconditionnés. Nous avons été accueillis en zone rurale, au village de Hainan. Sur place nous avons fait connaissance avec Na Yingyu, le videaste attitré au projet. C'est un artiste contemporain, fin connaisseur du folklore de son pays. Grâce à lui nous avons pu nous imprégner de l'environnement, prendre nos repères. Le plus étonnant est de découvrir cette région où est finalement concentrée la plupart des minorités chinoises. Il y réside un incroyable brassage de populations mais qui sont sous pression. Imaginez on evalue les naxi à 300 000 personnes au sein d'un pays qui compte un milliard six cent millions habitants... "

Quelles sont les particularités de cette population ?

C. : " Elle est connue pous son culte chamanique et pour pratiquer l'une des dernières écritures hiéroglyphiques. C'est avéré par les scientifiques et c'est ce qui fait naturellement l'attrait d'un tel voyage. Nous voulions être au plus près de personnes culturellement fragilisées par les grandes mutations que vit la Chine. Et conserver une trace probante, un enregistrement musical singulier. "

Et le lien avec les artistes locaux ?

C. : Il s'est fait grâce à Na Yingyu. Lors d'une fête nous avons appris l'existence d'un orchestre de musique traditionnelle, le Naxi Bashaxili Traditional Orchestra. C'est un groupe qui a été lancé par He Maogen, une figure du village et père de certains des actuels musiciens. Sa destinée reflète une culture qui a essuyé la répression durant la Révolution Culturelle. Il y a trente ans, ils n'étaient plus que trois au Yunnan à jouer la musique Baishaxili. Depuis, He Maogen a réussi à relancer les plus jeunes vers ce registre. Aujourd'hui, malgré sa disparition, seize éléments composent cet ensemble. C'est d'ailleurs leurs témoignages, l'hommage à He Maogen, qui sert de base au documentaire Long Water. "

Comment avait vous fait la connection entre des cultures aussi lointaines que l'electro et la musique ancestrale chinoise ?

C. : " Le principe des Expedisounds est basé sur l'ouverture. Lors de voyages passés, j'ai ainsi pu me familiariser avec les rythmes du monde entier, à commencer par les Balkans. A chaque étape j'achetai des albums du cru. De fil en aiguille, la tradition s'est incorporée à ma démarche. Que cela soit en fusion avec les musiques electro ou en version originale. Aujourd'hui le coffret sort avec un CD complet d'enregistrements traditionnels. "

C'est une première pour le Naxi Bashaxili Traditional Orchestra ...

C. : " C'est leur premier album. Il traduit une musique dite "fossile", qui n'a pas bougée depuis 800 ans. En fait les thèmes et la mythologie propres a ce répertoire font référence à des cycles. C'est aussi une première pour nous. Jamais nous n'avions bouclé une enregistrement complet de cette teneur. Le travail au retour de l'expédition fut complet mais fastidieux. Chaque volume acoustique ou electro devait trouver son équilibre et sa résonnance au sein du coffret, avec le documentaire. "

Comment vous définissez vous ?

C. : " Comme des passeurs, des transmetteurs entre les cultures. En tant que DJ je n'érige pas directement de concept musical vis à vis de rythmes traditionnels. Au delà de la démarche artistique il y a des humains. C'est finalement la collection de rencontres, de surprises qui fait cette création. C'est une attitude que je privilégie. "

Les technologies actuelles ont-elles joué un rôle prépondérant ?

C. : " Disons que le matériel et les médias reflètent la mondialisation. Pour la petite histoire nous avions sur place du matériel d'enregistrement que j'utilisais pour la première fois. Je me suis alors mis sur des forums en ligne pour collecter des informations afin de faire fonctionner correctement les machines. Outre les relais français via Emeric et Full Rhizome, nous sommes entrés en contact avec un internaute français qui habite le Bélize, en Amérique Centrale, et qui nous a conseillé à distance, pour chaque session. Je n'ai jamais vu ce gars de ma vie. Quand je communiquais avec lui c'était par l'entremise du pseudo "maitre Philippe". Mais ca résume bien la dimension de l'entreprise... "

Propos recueillis par Vincent Caffiaux

IOT Records-Full Rhizome /L'Autre Distribution

La muraille du son

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