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CUMBE
19 novembre 2012

La musique à la carte

sahel

 

En Afrique, le téléphone portable  interragit  sur la création musicale et sa diffusion. Ethno-musicologue, l'américain Chris Kirkley compile ces enregistrements avec Music from Saharan Cellphones, des albums consacrés à la production du Sahel. Hautement créatifs, ces deux volumes  témoignent d'une ingéniosité évidente. Et ouvrent des perspectives inédites.

L'usage consumériste des outils numériques fait parfois oublier que le téléphone portable peut être un vecteur de créativité imparable. C'est le constat établi par Chris Kirkley. Observateur infatigable, celui-çi est parti, il y a trois ans, en Afrique collecter des dizaines de cartes mémoires emplies de musiques. L'aventure rappelle l'esprit Do it Yourself du mouvement punk. Frustrés par un circuit de diffusion commercial rigide, ces derniers prônèrent, dès le milieu des années 70, une alternative à l'establishment en lançant  labels et fanzines. Un gage d'indépendance relayé depuis par le rap, au travers des mixtapes. Et jusqu'aux créateurs actuels qui profitent de la démocratisation informatique en Occident pour lancer leurs propres journaux, films ou albums. Si le parti pris esthétique prime parfois, l'emploi fait de l'ordinateur relève avant tout d'une nécessité matérielle. En Afrique, le choix est évident. Le sous développement dudit tissu numérique impose le téléphone comme unité de production.

C'est à Kidal, au Nord Mali, que Chris Kirkley compose les futurs tomes de Music from Saharan Cellphones. Récupérés sur des disques amovibles de type carte SD, les enregistrements s' effectuent directement auprès des interprètes puis sont ensuite relayés par les musiciens ou auditeurs via le system Blue Tooth. Le phénomène est réactif puisque plus de 60 % des musiciens concernés utilisent directement le mobile comme studio puis relais. Évidemment l'attrait proposé par ces téléphones bon marché ne s'arrête pas qu'aux traitements sonores mais génère aussi des vidéos ou photos dites virales qui viennent ainsi élargir la diffusion. Longtemps utilisées sur place comme mode de diffusion, les cassettes analogiques sont encore parfois employées afin de réunir les différentes sessions mais sont paradoxalement appeler à disparaître, supplantées par les fichiers MP3. Aujourd'hui l'Afrique représente le deuxième continent pour le développement de la téléphonie après l'Asie avec 649 millions de cartes SIM pointées pour plus un milliard d'habitants. Les enregistrements musicaux téléphoniques ici présents font bien office de laboratoire quant à un futur développement d'Internet, le parent pauvre du continent avec 140 millions d'usagers (1).

 

 

Les deux volumes de Music from Saharan Cellphones sont aujourd'hui disponibles en téléchargement gratuit depuis le site de  Sahelsounds, le label de Chris Kirkley. Le rock touareg figure en bonne place aux côtés du coupé décalé ivoirien, de la pop maghrébine ou du hip hop. Les synthés cheap et l'auto-tune transparaissent parfois. L'ouverture du premier tome se fait au diapason tamashek avec le groupe Anmataff. Avant d'enchainer avec les syncopes tropicales de Josk and Flamzy. Le volume deux élargit le champ d'action avec incursion notoire en territoire mauritanien. L'effet est garanti : ces sessions remplissent une fonction préciseuse de tête chercheuse, bien loin des sentiers empuntés par le show bizness. L' entreprise trouve son prolongement avec le pressage vinyl des deux opus. Sortis l'an dernier en partenariat avec le label Boomarm, des remixes réalisés par des DJ  américains undergound à partir des enregistrements originaux affirment cette formule hautement créative. Le process n'est pas nouveau. De nombreux artistes comme Césaria Evora ou Vieux Farka Touré ont expérimenté leurs répertoires de la sorte. Pourtant la formule ici employée serait plutôt à rapprocher du collectif Expédisound ou du projet Congotronics vs Rockers. Même souci de cohérence, d'authenticité.

Le label Sahelsounds diffuse également dix albums enregistrés principalement au Nord Mali. Différentes compilations attestent de la bonne santé artistique de cette partie du continent premier. C'est le cas de Malaila, recueil précieux de sonorités pastorales. Se détache de l'ensemble la voix incroyable de Laïla et son Marchand de Sommeil. Malgré le son rudimentaire, l'objet reste soigné avec une belle pochette composée par le génial Seydou Keïta. Autre enregistrement significatif, Ishilan N-Tenere dévoile le jeu de guitare malien alors que Songs for the North Mali effectue une synthèse pertinente de la scène locale. Les surprises viennent de Takamba, du nom d'un rythme local électrocuté à coups de distorsions, et de Alkibar Gignor un ensemble rock en provenance de Niafunké. Dans le giron d'un Afel Bocoum, le jeune groupe exprime une urgence confondante. A l'instar des albums Music from Saharan Cellphones, ces références sont disponibles en téléchargement, sur le site Sahelsounds ou en vinyl.      

 

Aujourd'hui, ces sources musicales, audiovisuelles et photographiques sont exposées au musée d'art moderne de Portland, aux Etats Unis. Intitulée "Azwad Libre! New Media and Imagined Geographies", la collection multimédia affirme des clichés saisissants où les pixels sur-imprimés deviennent matière. Les collages sont nombreux et ne sont pas sans évoquer les travaux chers aux Surréalistes, la naïveté en sus. Fondement de ce catalogue, les réseaux sociaux et cyber cafés  contribuent à cette nouvelle cartographie. Un travail amplifié ici par l'actuel conflit au Mali. En détournant le slogan Azwad libre ! Chris Kirkley renvoie au sens premier de ce mot, traduisible par Terre de transhumance. Le but ici est moins d'analyser la sociologie des communautés présentes que de projeter un nouveau territoire virtuel.  Un rêve de Nouvelle Frontière donc, à la croisée des sept pays de la bande sahélienne : "Je suis très excité par l’existence de ce réseau métaphorique, et par les données qui sont sur ce réseau, parce que souvent nous considérons que tout est sur Internet aujourd’hui, et que nous vivons dans une société globalisée où tout le monde est connecté. Pour moi, l’exemple saharien montre qu'il y a toujours de nombreux réseaux qui ne sont pas connectés, mais les gens utilisent ces technologies pour faire du commerce, pour créer, pour échanger." précise Chris Kirkley (2). Enregistrés pour la plupart avant le début des tensions, les titres de cette collection se heurtent désormais à une réalité d'un autre ordre. Après le saccage en règle de haut lieux patrimoniaux à Tombouctou, les islamistes interdisent, au nom de la charia, la musique profane sur ce territoire. Dans ce contexte tourmenté, la démarche du label Sahelsounds ne prend  que plus de valeur.

 

prinsco

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(1) Chiffres : INA Global (quatrième trimestre 2001).

(2) Extrait d'une interview de Arnaud Contreras, L'atelier des médias, RFI. http://atelier.rfi.fr/

Blog de  Chris Kirkley : http://sahelsounds.com/

Vincent Caffiaux

 

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