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CUMBE
12 novembre 2012

Sous le soleil exactement

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Les rythmes du monde marquent la discographie de Serge Gainsbourg. En 1964, Gainsbourg Percussions affirme un univers où rythmes afro-latins et allitérations sonnent d'équerre. Quinze ans plus tard, l'auteur remixera sa plume sur les rythmes syncopés du reggae avec l'album Aux Armes Et Caetera. 

Période charnière, le milieu des années 60 est une source d'inspiration évidente pour Serge Gainsbourg. Héritier de la tradition jazz Rive Gauche, le dandy va bientôt négocier le virage pop, séduit par l'aura rebelle de Brian Jones et John Lennon, grâce à des titres comme Initial BB, Qui est in qui est out et Comic Strip.  En prélude à cette révolution culturelle il enregistre en 1964 Gainsbourg Percussions, un  sixième opus où s'affirme l'ex élève des Beaux Arts. C'est d'ailleurs par un parti pris esthétique qu'il justifie cet album : " L’art abstrait a fait éclater la peinture : quand en musique on fait éclater les formes, il ne reste que les percussions, au désavantage de l’harmonie. […] Pour réaliser ce disque, j’ai emprunté des rythmes africains et si je les utilise de manière abondante, ce n’est pas une concession à notre époque. Il faut une forme qui lui corresponde et le rythme la caractérise(1)." Ce commentaire est pertinent. Il résume l'intérêt porté par Serge Gainsbourg pour l'Abstraction et le Surréalisme.  Bacon, Dali et Picabia sont des influences évidentes. 

Arrangé par son complice Alain Goraguer, l'album Gainsbourg Percussions est une explosion de rythmes afro-brésiliens. Un répertoire alors tendance dans les salons  que  le chanteur va utiliser de manière novatrice. Il transpose ainsi trois plages du Nigérian Babatunde Olotunji qui, sous sa plume, deviennent New-York U.S.A., Joanna et Marabout. Une méthode que Serge Gainsbourg éprouvera régulièrement par la suite, notamment avec le répertoire classique. Si les puristes sont choqués, le collage évoque pourtant le sampling et le remix avant l'heure. Les textes sont, quand à eux, saisissants de modernité. New-York U.S.A. renvoie au travail photographique de William Klein sur la Grosse Pomme. Les couplets scandés et le dépouillement musical tracent des perspectives inédites. Jamais New-York n'avait été chanté pareillement. Particulièrement prisée à l'époque, notamment grâce à Stan Getz, la bossa nova trouve ici un titre fort grâce au célèbre Couleur Café et avec Ces Petits Riens, son négatif intimiste. Les jeux de mots claquent comme les doigts sur les congas et la saudade brésilienne fait écho au tempérament slave distillé par Gainsbourg. Archétype de la démarche, un titre tel Les Sambassadeurs vulgarise les rythmes sud-américains et préfigure une scie comme L'Ami Caouette. Pourtant cela ne doit pas cacher une démarche sincère. Autre grand crooner et figure du Tropicalisme, Caetano Veloso ne s'y trompe pas en participant, en 2009, à une création musicale dévolue au compositeur français pour la télévision brésilienne.   

 

En 1979 Serge Gainsbourg connait les affres de la création. Quel lien entre Rock Around the Bunker, album échorché pré-punk, L'Homme à Tête de Choux, concept inspiré par la créatrice contemporaine Claude Lalanne, et la bande son des Bronzés ? A l'orée de la cinquantaine, l'auteur part alors à la Jamaïque enregistrer son premier album reggae. C'est l'âge d'or du genre à Kingston mais également auprès du public européen qui se trouve un prophète en la personne de Bob Marley.  Ce registre n'est pas une première puisque Gainsbourg avait déjà adopté le rythme one drop  pour Marilou Reggae. L'accompagnement est redoutable. Outre Sly et Robbie à la rythmique et les I Threes de Bob Marley aux choeurs, une brochette de musiciens de studio parmi lequels Mickey Chung  et Ansell Collins participent aux sessions. Paramètre essentiel du reggae, le son est au rendez-vous, ample et profond. Produit par Philippe Lerichomme, cet album recycle l'imaginaire gainsbourien. Sous les tropiques, La Javanaise givre de cynisme et la plupart des titres prennent la forme de vignettes souvent désopilantes. Certes sa reprise du standart You Rascal You,  rebaptisé ici Vieille Canaille, remporte un joli succès. Pourtant c'est bien sa relecture de La Marseillaise qui provoque le scandale.  Michel  Droit se déchaîne dans les colonnes du Figaro en déclarant " Une odieuse chienlit " aux relents nauséabonds. Pour Serge Gainsbourg la démarche est claire. En reprenant l'hymne national sur un riddim reggae, il veut surtout rendre à cette composition son sens originel, révolutionnaire. Un an plus tard à Strasbourg son interprétation a capella de La Marseillaise, face à d'anciens paras opposés au concert, amplifie cette controverse...

Si, grâce aux commandes passées dans les années 60 par la scène hexagonale, Serge Gainsbourg connaît la réussite matérielle, il lui faut attendre Aux Armes Et Caetera qui terminera disque de platine pour rencontrer une réelle popularité. Fort de cette reconnaissance, notamment auprès de la jeune génération, ll enregistre en 1981 à Nassau, aux Bahamas, Mauvaises Nouvelles des Étoiles, avec la même équipe. Le son est plombé. Les paroles suivent... La Nostalgie Camarade permet à l'auteur de régler ses comptes avec les bérets rouges précités. Et Negusa Nagast déloge la pensée rasta à coup d'aphorismes ravageurs. Sa vie privé apparait difficile. Pudique, il balance le beau Overseas Telegram, texte où il dévoile la fin de sa liaison avec Jane Birkin. Pied de nez émouvant, ce texte fait écho à la déclaration d'amour envoyée treize ans plus tôt par Serge Gainsbourg à la jeune britannique. Mauvaises nouvelles des étoiles... Et naissance de Gainsbarre avec Ecce Homo, manifeste taillé sur (dé)mesure pour son double provocateur. Un album live, le premier de sa discographie est enregistré durant l'hiver 80. Le concert est capturé sur la scène du Palace, haut lieu de la vie nocturne parisienne de l'époque et reprend principalement les titres reggae.

     

Dessinateur, critique, musicien et directeur artistique, Bruno Blum part en 2001 à la Jamaïque ré-enregistrer Aux armes Et Caetera et Mauvaises Nouvelles des Étoiles. L'objectif est de replacer les bandes sonores  dans leur cadre originel, avec cohérence en tenant compte des éléments culturels ambiants. Outres les sessions originales, ce dernier  incopore les dubs respectifs, des instrumentaux qu'il propose ensuite à des toasters jamaicains. Parmi les  invités une légende comme Big Youth qui s'approprie La Marseillaise ou King Stitt, une figure historique qui reprend naturellement Des Laids, Des Laids. Pour Bruno Blum, la démarche stylistique de Gainsbourg est  en phase avec la production jamaïquaine : "En 1978 Gainsbourg ne chante plus depuis belle lurette. Pour ses albums reggae, il pratique le talk over, une récitation des textes sur la musique qui est un des fondements du reggae,via la dub poetry. En fait, cette démarche prolonge la passion de l'artiste pour toutes les musiques américaines, le jazz et le blues, mais aussi les rythmes de l'arc Caraïbe. Gainsbourg Percussions est un autre exemple significatif avec emprunt aux rythmes sud américains. "  L'album enregisté live au Palace, fin 80, est réédité en 2006 sous le titre Gainsbourg Et Caetera. Doté d'un son bâclé à sa sortie, il se présente désormais en double CD avec moult plages supplémentaires dont des inédits et entretiens avec l'artiste. 

Poétique et donc musicale, l'écriture de Serge Gainsbourg marque pareillement les interprètes du monde entier. Évidemment la présence, sur Gainsbourg Percussions, de Pierre Michelot, Michel Portal ou Eddy Louiss contribue à la reprise de titres de l'album par l'actuel scène jazz. Mais c'est le haïtien Beethova Obas qui  se distingue en 1992, avec une cover moelleuse de Couleur Café. Les arrangements boisés subliment la griffe de l'auteur français sur le mode Kompa. Certains titres des albums reggae sont regulièrement rejoués. Vieille Canaille est devenue une caution pour les talks shows télévisuels. Et Lola Rastaquouère est chantée par Marianne Faithfull pour une compilation hommage. Ironie de l'histoire, les interprètes reggae reprennent surtout Je t'aime moi Non Plus, le slow iconoclaste. En 1975 Judge Dread, le libidineux chanteur de ska anglais transforme le thème en air pour baloche cockney. Avant un piratage sonore magnifié par les sorciers du Dub Syndicate.

Vincent Caffiaux

(1) Gainsbourg  Gilles Verlant  Albin Michel

Serge Gainsbourg  : Gainsbourg Percussions, Aux Armes Et Caetera, Mauvaises Nouvelles des Etoiles, Gainsbourg Et Caetera (live au Palace).  Mercury 

 

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B
Keep on rocking
CUMBE
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